Comment choisir une photographie? Tirage signé vs vintage

Lorsqu‘on veut acheter des photographies contemporaines pour commencer ou enrichir une collection, on se trouve confronté à une question cruciale: tirage signé ou vintage ? L’histoire de la photographie a fait émerger ces deux types de tirage, l’un effectué pour être une œuvre d’art et l’autre pris par des artistes mais au moment ou la photographie n’était pas reconnue comme un art à part entière. Lequel choisir ?

Jusqu’à la fin des années 60, la photographie contemporaine n’a pas de statut d’œuvre d’art, contrairement au cinéma. Les photographes vivent de la vente de leurs photos aux magazines de presse par l’intermédiaire des agences, et touchent les droits d’exploitation qui en découlent. La photo papier utilisée pour réaliser la maquette d’un journal n’a pas de valeur commerciale ni artistique. C’est l’image qu’elle représente et le résultat final dans le journal qui sont importants.

Broodthaers, Hahn et une sculpture de Segal. Photo vintage par Maria Gilissen

Les clichés sont donc tirés rapidement, et sans soins : si des défauts existent ils seront masqués à l’impression du journal. La photo est cornée, pliée, froissée durant la réalisation de la maquette : elle n’a pas de valeur, il n’y a pas besoin de prendre de gants.

Un fois le journal paru, la photo originale est archivée, le nom de leur auteur n’est même pas conservé. Les plus chanceuses reçoivent sur leur verso le tampon de l’agence de presse dont elles émanent.

Quand la photo devient un art

A partir de la fin des années 60 tout change lorsque de courageux pionniers éprouvèrent l’ardente nécessité de donner à l’art photographique le statut qu’il méritait de droit. Il faut ici rendre particulièrement justice à Agathe Gaillard* qui lance la toute première galerie consacrée en Europe à la photographie, à Paris, rue du Pont Louis Philippe.

Homme et enfant, tirage signé par Dominique Issermann

Les photographes continuent de commercialiser leurs photos auprès des agences et exposent les mêmes images dans les galeries mais avec de beaux tirages, effectués avec talent sur des papiers de qualité. Ces expositions et ces tirages sont parfois réalisés bien des années après la parution de la première image dans les magazines de presse.
L’idée que le tirage papier des photographies contemporaines puisse être une considéré comme une œuvre d’art recueille d’abord sarcasme et railleries du grand public. Mais après plusieurs années, les regards sur la photographie changent. Le succès et la reconnaissance venant, ces beaux tirages sont signés et datés par leur auteur, puis numérotés.

La Apparicion en la presa, tirage signé et numéroté par Alberto Ibanez

Mais se pose alors la question du statut des tirages d’usage commercial. Souvent tirés peu de temps après la prise du négatif, ils ont le privilège de l’antériorité sur les tirages « artistiques ». Certes, ces tirages ne sont ni signés ni numérotés et le nombre d’exemplaires exact est inconnu. Certes, ils ont pâti d’un manque de soin, au tirage comme à l’usage. Mais l’aura du vécu les pare d’attraits incontestables.

Le nouveau marché du vintage

Certains agents du marché de l’art s’emparent de ce nouveau marché. Parmi eux ceux qui n’avaient pas eu le talent ni la prescience de promouvoir l’art photographique à la fin des années soixante. Et aussi ceux qui, esthètes et historiens d’art, ont conclu que le seul tirage original était le premier tirage commercial.

Ces acteurs rachètent alors les stocks des organes de presse et des agences de publicité et fournissent un travail colossal de recherche et d’attribution des clichés récupérés. C’est ainsi qu’apparaissent les clichés dits « vintages » dont la cote s’enflamme très vite.

Bip, renversement. Photo vintage par Roger PIc

L’amateur de photographie se trouve donc pris entre deux feux. D’un coté, les galeries qui défendent les tirages sélectionnés et tirés avec soin et pour qui les tirages commerciaux ne sont que des brouillons sans valeur. De l’autre coté, ceux qui soutiennent que seuls les tirages vintage ont une authenticité historique, les autres tirages, quelle que soit leur beauté plastique n’étant que des «  retirages postérieurs ». La rivalité tourne à la bataille ouverte avec des mots très forts allant même jusqu’à l’épithète de «  marchands-voyous ».

Mais la cote des tirages vintage progresse jusqu’à atteindre et parfois dépasser celle des tirages numérotés, datés et signés. Actuellement, la cote des vintages s’est stabilisée, et dans certains cas a commencé à baisser. On commence à avoir le recul nécessaire pour voir un peu plus clair dans cet affrontement.

Tirage signé ou vintage: faut-il vraiment choisir ?

Un titrage de bon aloi, au pedigree parfait – origine de la galerie, etc.- est valorisé au sein d’une collection. En revanche, le vintage est un témoignage incontournable de la vie d’un art et d’un artiste. Lorsqu’on en a la possibilité, il est enrichissant de mixer les deux types de tirage dans une collection, mais de faire attention aux prix.
L’état et la qualité du tirage sont en effet des éléments clés pour en définir le prix : le prix d’un vintage, selon son état, sera donc en général inférieur à un tirage signé.

Dans une collection exhaustive, tirage vintage et tirage signé se répondent et se renforcent. En gardant en pensée que ce qui est vraiment important, c’est le talent, l’œil du photographe. Comme dit Agathe Gaillard : la photographie, c’est ce que le photographe fait !

* Ses souvenirs ont été publiés en avril 2013 et éclairent d’un jour réjouissant et tonique l’aventure qui fut la sienne. Agathe Gaillard. Mémoires d’une galerie. NRF. Témoins de l’Art. Gallimard. Paris. 2013. 165 pages.